À propos de l’œuvre
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Entretien sur l’Art, les Mathématiques et l’Esthétique Cachée du Monde.
- Votre travail s’inspire des fractales et des symétries naturelles, mais on peut aussi y voir une connexion profonde avec les mathématiques. Quel rôle jouent-elles dans votre approche artistique ?
- Les mathématiques sont omniprésentes dans mon travail, mais de manière intuitive. Ce qui me fascine, comme je vous l’ai dit, c’est cet ordre sous-jacent que l’on retrouve dans la nature, l’architecture et même dans les structures biologiques. Les fractales sont un exemple parfait de ce que j’appelle les mathématiques souterraines : un langage caché qui régit le monde, que l’on perçoit sans forcément en avoir conscience.
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- Pouvez-vous nous donner des exemples concrets de cette présence mathématique dans vos œuvres ?
- Prenons la suite de Fibonacci et le nombre d’or. Ces proportions sont partout dans la nature : la disposition des pétales d’une fleur, la spirale d’un coquillage, la structure des galaxies… Quand je compose une œuvre fractale, ces motifs réapparaissent presque naturellement. Ce n’est pas un calcul conscient, mais une résonance avec un ordre universel.
On retrouve aussi dans mes œuvres le principe de la quadrature du cercle, une problématique mathématique et philosophique ancienne. Jung lui-même voyait dans cette forme une représentation de l’équilibre psychique. Mes compositions jouent souvent sur cette tension entre le carré et le cercle.
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- Ce jeu entre symétrie et répétition pourrait avoir un effet trop mécanique ou monotone, mais ce n'est pas le cas. Et comme je vous le faisais remarquer, ça parle à un large public et les premiers mots qui viennent c'est que c'est tout simplement... "Beau" !
- Oui tout comme j'aime à confronter mes tableaux à la nature pour voir si ça fait le "poids", ça me rassure sur la valeur de mon travail que ça plaise au plus grand nombre. Pour la petite histoire, lorsque j'ai commencé à les faire imprimer mes petits neveux et nièce étaient présents à la réception et je me souviens de l'engouement qu'ils ont eu : "- Que c'est beau tonton !" s'écriaient-ils à chaque tableau.
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- Je dirais... curieusement beau ! Pour quel raison ? Vous m'avez dit que ça vous avait posé question et que vous aviez en partie trouvé la réponse chez Jung.
- Oui je ne me suis pas dit : "Tu es le plus grand génie en ce début de siècle !" (Sourire) mais pourquoi ça avait un tel effet cette organisation autour du centre et ces répétitions. C'est qu'il y a une évidence dans ces compositions, un équilibre qui parle directement à notre sensibilité.
- Vous m'avez évoqué le concept de quaternité psychologique. Pourriez-vous m'en dire un peu plus...
- Oui, Jung a développé l’idée qu'il y avait quatre fonctions de la conscience : La Pensée, qui analyse et organise. La Sensation, qui capte le concret. Le Sentiment, qui juge et évalue et l’Intuition, qui perçoit les schémas globaux.
- Mais encore...
- Or, mes œuvres fractales s’adressent précisément à ces quatre dimensions : Elles relèvent de la Pensée, par leur construction géométrique rigoureuse. Elles touchent à la Sensation, par leur effet hypnotique sur le regard. Elles évoquent le Sentiment, à travers leur harmonie colorée. Et elles stimulent l’Intuition, car elles rappellent l’ordre caché de la nature.
- En ce sens, vos tableaux ne sont pas seulement des objets esthétiques. Ils dégagent pour la plupart une profondeur car ils sont au contact direct avec l'inconscient.
- Tout à fait.
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- J'aimerais qu'on aborde également le côté projectif qu'on certain...
- Oui c'est ce que j'appelle leur "coté Rorschach" !
- Oui, rappelons que ce test psychologique a été créé à partir de tâches d'encre obtenues en pliant une feuille en deux. Ce qui donne un résultat bizarre faisant apparaître des formes où l'imagination peut se projeter.
- Oui à remarquer par rapport à mes tableaux que le psychanalyste suisse jouait sur une symétrie axiale alors que je travaille sur une symétrie radiale.
- Mais les "figures" qu'on voit apparaître relève de la symétrie axiale aussi !
- Oui très bien vu ! Enfin ce qui est drôle c'est que chacun voit des choses bien souvent différentes.
- D'où leur côté projectif...
- Très juste !
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- Cette influence mathématique se ressent aussi dans votre travail sur l’architecture, notamment vos tableaux inspirés du patrimoine bourguignon.
- Absolument. L’architecture gothique, par exemple, repose sur une géométrie précise. Les cathédrales ne sont pas seulement de la pierre assemblée, ce sont des structures organisées autour de proportions mathématiques et de symétries harmonieuses. En réinterprétant ces éléments dans mes œuvres numériques, j’essaie de rendre visible cette intelligence cachée qui traverse les siècles.
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- Vos œuvres pourraient presque être perçues comme une visualisation artistique de la théorie du chaos. Enfin certaines…
- Exactement ! La théorie du chaos montre que derrière une apparente complexité, il existe des motifs récurrents, des structures organisées. C’est ce que j’essaie d’explorer dans mes créations. Mes fractales ne sont pas seulement de belles formes : elles sont l’écho d’un ordre universel qui nous dépasse, mais qui nous relie tous.
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- Finalement, votre art est une invitation à voir le monde autrement…
- Oui… et à comprendre que le beau n’est pas qu’une question de subjectivité. Il existe des formes et des proportions qui parlent directement à notre inconscient, parce qu’elles sont inscrites dans la structure même du vivant. Comme le disait Jung : “En chaque homme sommeillent des formes éternelles qui, si on les éveille, prennent vie et se manifestent dans l’art, les rêves et les visions.” C’est exactement ce que je cherche à faire avec mes œuvres : éveiller ces formes cachées et inviter chacun à une contemplation plus profonde du monde qui l’entoure.
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- Votre travail explore la symétrie, les fractales et la relation entre l’art et la nature. Vous vous inscrivez dans une démarche qui évoque aussi bien Carl Gustav Jung que René Huyghe. Que retenez-vous de leurs réflexions ?
- Les deux ont profondément nourri ma vision artistique. Jung, bien sûr, avec sa notion d’inconscient collectif et de quaternité, qui rejoint ma fascination pour les structures symétriques et centrées. Mais René Huyghe a été tout aussi essentiel. Dans Dialogue avec le visible, il explique comment l’art n’est pas seulement une création humaine, mais une révélation des structures fondamentales du monde. Il montre que l’homme ne fait qu’amplifier ce que la nature met déjà en place : des formes organisées selon des principes récurrents, qui obéissent à une logique à la fois biologique et mathématique.
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- Il y a donc un ordre naturel que l’art ne ferait que révéler ?
- Exactement. Prenez les fractales : elles existent partout, dans les cristaux de glace, les galaxies, les coraux… La nature ne produit pas ses formes au hasard. Elle suit des lois précises, qui se retrouvent aussi bien en biologie qu’en architecture ou en peinture. Huyghe parlait d’un “langage universel du visible” que l’artiste doit savoir capter. C’est ce que j’essaie de faire : révéler cette harmonie sous-jacente à travers mes œuvres.
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- Huyghe insistait aussi sur l’impact psychologique des formes et des couleurs. Pensez-vous que vos œuvres résonnent avec le spectateur à ce niveau ?
- Oui, et c’est là que mon travail rejoint aussi Jung. Certaines formes, certaines structures géométriques nous touchent immédiatement, parce qu’elles sont ancrées en nous, presque instinctivement. La symétrie, l’équilibre entre le mouvement et la stabilité, la répétition de motifs… tout cela crée une réaction émotionnelle. Huyghe expliquait que l’art est une médiation entre le réel et notre perception. Il nous permet de ressentir l’ordre du monde, non pas par la raison seule, mais par l’expérience esthétique.
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- Pour résumer et en guise de conclusion : Votre art se situe donc à la frontière entre science, nature et intuition…
- Absolument. Il ne s’agit pas simplement d’une recherche esthétique, mais d’une tentative de relier différents champs du savoir. Les mathématiques souterraines qui structurent mes œuvres ne sont pas là par hasard : elles traduisent une réalité profonde. Comme le disait René Huyghe :
“L’art est une manière de capter les forces invisibles qui structurent le visible.”
Ça résume la quête qui m’anime : explorer ces forces, les rendre visibles et inviter le spectateur à en faire l’expérience par le biais d'une contemplation esthétique.
Entretien recueilli par Jean Leclair en mars 2024